Page 32 - Science d'Hermès
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au point que certains d'entre eux peuvent se lire comme une
véritable onirologie,- sont tels des barques franchissant le fleuve des
Morts pour atteindre aux rives d'une conscience revivifiée par les
forces nocturnes de ce jour absolu qui songe, aux royaumes de la
nuit, en l'attente de notre reconnaissance. « Les Grecs, écrit Jean Biès,
distinguaient le rêve (onar) d'origine humaine, passant par la porte
d'ivoire, et le Songe (chrématismos) d'origine céleste passant par la porte
de corne. » Chacun se souvient de l'admirable début d'Aurélia de
Gérard de Nerval, sans doute l'un des plus beaux récits alchimiques
de la littérature universelle: « Le rêve est une seconde vie. Je n'ai pu
percer sans frémir ces portes d'ivoire et de corne qui nous séparent du
monde invisible. Les premiers instants du sommeil sont l'image de la
mort; un engourdissement nébuleux saisit notre pensée, et nous ne
pouvons déterminer l'instant précis où le moi, sous une autre forme,
continue l'oeuvre de l'existence. C'est un souterrain vague qui s'éclaire
peu à peu, et où se dégagent de l'ombre et de la nuit les pâles figures
gravement immobiles qui habitent le séjour des limbes. Puis le tableau se
forme, une clarté nouvelle illumine et fait jouer ces apparitions bizarres;-
le monde des Esprits s'ouvre pour nous. »

      Nous nous retrouvons là, par l'ambassade de cette spiritualité
romane et romantique dont l'oeuvre de Nerval fut le testament
éperdu, au coeur fusible de l'alambic de la culture occidentale où
revivent aussi les plus réverbérantes conquêtes spirituelles
d'Hildegarde de Bingen. Abbesse visionnaire, musicienne,
incarnant l'autorité sacerdotale par la création, Hildegarde de
Bingen témoigne de cette spiritualité, à la fois si proche et si
lointaine, par l'expression de réalités plus hautes que toute
expression. L'homme moderne ne comprend si mal l'Alchimie que
parce qu'il se fait une idée fausse de la nature. Ce qui est la
« nature » pour la spiritualité romane est devenu pour le Moderne,
une réalité presque hors d'atteinte. Les livres de Sainte Hildegarde
de Bingen, composés selon sa propre expression dans « l'ombre de
la lumière vivante », s'imposent à l'intelligence de celui qui accepte

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